Latin trilogy
Novel by Stéphane d'Arc

La guerre, Tirésias, me donnait un plaisir de dieu. Ce n'est pas tuer que j'aimais. Ne me prends pas pour un monstre ; mais j'aimais à réduire à rien mon adversaire, le réduire à ma puissance. Mais cette puissance qui est en moi, aujourd'hui que je ne suis plus en guerre, a failli tuer ma femme à plusieurs reprises. Je suis dangereux, Tirésias.

Quand je tue, je ne songe pas. Je suis une arme. Mais aujourd'hui que cette arme est toujours en moi, je songe. Et si comme un monstre, j'avais besoin d'un massacre quotidien ? Et si c'était pour cela que les dieux m'éloignaient des hommes ? Je suis dangereux, Tirésias. Parce que je suis la force. La guerre peut dompter et orienter cette force. Pas moi.

Et encore, je peux bien t'en faire l'aveu ; après la bataille, les poètes chantent qu'Actéon disparaît sous sa tente. Pourquoi le fait-il ? Pour pleurer, Tirésias, pour pleurer pour ces bras séparés de leurs corps, pour ces jeunes ailés fauchés par Actéon ; pour pleurer sur ce massacre dont je suis le responsable. Et ce n'est pas par orgueil que je fuis les acclamations. J'y vois ma honte et ma faute. Faut-il donc applaudir un meurtrier ? Mais pourquoi, Tirésias ? Pour avoir mieux et plus tué qu'un autre ? Alors bien ! Je me grise de meurtres, mais je ne veux pas qu'on m'acclame pour cela. Est-ce que j'ai toujours pleuré après avoir tué ? Je ne crois pas. [...]