Paysage
Les fleurs du mal (1861)
Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

    Je veux, pour composer chastement mes églogues, 
    Coucher auprès du ciel, comme les astrologues, 
    Et, voisin des clochers, écouter en rêvant 
    Leurs hymnes solennels emportés par le vent. 
    Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde, 
    Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ; 
    Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité, 
    Et les grands ciels qui font rêver d'éternité. 
    
    Il est doux, à travers les brumes, de voir naître 
    L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre, 
    Les fleuves de charbon monter au firmament 
    Et la lune verser son pâle enchantement. 
    Je verrai les printemps, les étés, les automnes ; 
    Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones, 
    Je fermerai partout portières et volets 
    Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais. 
    Alors je rêverai des horizons bleuâtres, 
    Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres, 
    Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin, 
    Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin. 
    L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre, 
    Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ; 
    Car je serai plongé dans cette volupté 
    D'évoquer le Printemps avec ma volonté, 
    De tirer un soleil de mon cœur, et de faire 
    De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.



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Paysage est un extrait du livre "Les fleurs du mal (1861)" - CLE

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