Filles d'ouvriers
Jules JOUY (1855-1897)

Chanson écrite en collaboration avec Gustave Goublier.

Pâle ou vermeille, brune ou blonde, 
Bébé mignon, 
Dans les larmes ça vient au monde, 
Chair à guignon.
Ébouriffé, suçant son pouce, 
Jamais lavé, 
Comme un vrai champignon, ça pousse
Chair à pavé

A quinze ans, ça rentre à l'usine, 
Sans éventail, 
Du matin au soir, ça turbine, 
Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole, 
Quand c'est girond, 
Dans un guet-apens, ça se viole, 
Chair à patrons.

Jusque dans la moelle pourrie, 
Rien sous la dent, 
Alors, ça rentre en brasserie, 
Chair à clients.
Ça tombe encore : de chute en chute, 
Honteuse, un soir, 
Pour deux francs, ça fait la culbute, 
Chair à trottoir.

Ça vieillit, et plus bas ça glisse.
Un beau matin, 
Ça va s'inscrire à la police, 
Chair à roussins ;
Ou bien, sans carte ça travaille
Dans sa maison ;
Alors, ça se fout sur la paille, 
Chair à prison.

D'un mal lent souffrant le supplice, 
Vieux et tremblant, 
Ça va geindre dans un hospice, 
Chair à savants.
Enfin, ayant vidé la coupe, 
Bu tout le fiel, 
Quand c'est crevé, ça se découpe.
Chair à scalpel.

Patrons ! Tas d'Héliogabales, 
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles, 
Chair à fusils, 
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart
Nous les laisserons vos charognes, 
Chair à Macquart !