La douleur de la princesse
Stuart MERRILL (1863-1915)

À Paul Verlaine.


I

Par le jardin royal, en l'arôme des roses,
La princesse aux yeux pers, soeur nubile des fleurs, 
Erre en pleurs au vouloir de ses rêves moroses :

Les mille et mille voix du triomphal matin 
Lui murmurent l'amour, et le soleil sommeille 
En ses cheveux épars sur son col enfantin.

Un jet d'eau dont la gerbe en perles d'or ruisselle 
Parmi les boulingrins aux bordures de buis 
S'irise de reflets d'ambre et de rubacelle.

La brise heureuse a ri sous l'osier des taillis, 
Et les oiseaux issus des massifs de verdure 
Se sont, au bleu des airs, grisés de gazouillis.

Mais ni le brouillard rose et rouge des corolles,
Ni l'eau mirant le ciel ensoleillé d'avril,
Ni les rameaux émus de vivantes paroles,

Ne peuvent divertir la douce déraison 
De l'Infante qui va vers la haute terrasse 
D'où le regard des rois rôde vers l'horizon.

II

De ses mules de pourpre elle a frôlé les marbres, 
Et la voici courbée au rebord des remparts 
Où déferle d'en bas la verdure des arbres.

A ses pieds, par les prés et les marais herbeux, 
De l'aube à l'angelus sanglotent les sonnailles 
Des solennels troupeaux de taureaux et de boeufs.

Sous le soleil de l'est la ligne des montagnes 
Ondule en des lueurs d'améthyste et d'azur 
Pour mourir au milieu des moissons des campagnes.

Parfois comme le pleur sonore d'un beffroi 
L'âme d'un lointain cor s'essore du silence, 
Puis s'étouffe soudain sous un souffle d'effroi.

La chaleur s'alourdit. Parmi les piliers grêles
Des frênes et des pins, déjà darde midi :
La brise vocalise au coeur des fleurs si frêles,

Et les feuilles en pleurs soupirent de désir :
Mais morne, ce jour-là, la Princesse s'attarde 
A poursuivre le cours de son mauvais plaisir.

III

« Les monts là-bas sont bleus comme un éveil de rêves 
Et, ô le cor qui râle en le matin vermeil ! 
Si pâle est la paresse en la saison des sèves.

Oh ! m'évader des murs de mon divin enfer
Vers les lointains où vont les graves cavalcades
Caracolant au chant des fanfares de fer !

Au fond de la forêt glapit la mâle meute :
J'entends par heurts d'horreur haleter l'hallali, 
Et c'est là-bas, là-bas, comme un émoi d'émeute. 

Demain, ayant occis sangliers et dix-cors, 
Les dames reviendront au trot des haquenées 
Dans la gloire des fers, des cuivres et des ors.

Pourquoi dois-je, princesse austère et solitaire, 
Mourir ici d'ennui : qui viendra conquérir 
Ma main, pour me mener vers l'inconnu mystère ! 

Où luira-t-il, ton casque, ô chaste chevalier
Que je crois voir venir au vol de la Chimère,
Le bras bardé de bronze et lourd d'un bouclier ! »

IV

Jamais n'éclatera l'écarlate oriflamme 
Du céleste sauveur, et jamais le dragon 
Ne battra les remparts de ses ailes de flamme.

Mais la Princesse attend toujours, son bleu regard 
Perdu dans la poussière impalpable des brumes :
Et la Princesse attend encor, le front hagard.

Pourtant purs sont les cieux, et paisibles les terres ;
La semence mûrit aux ris du renouveau, 
Et la nature en rut aspire aux adultères.

Cuirassé d'émeraude et de chrysobéryl 
Un paon qui se pavane au bord des balustrades 
Exulte à l'estival tumulte de l'avril.

A l'ombre des lauriers et des cerisiers roses 
Les tourtereaux rêveurs qu'endort le lourd midi 
Roucoulent leur amour aux corolles mi-closes.

Et le long des degrés de porphyre des cours 
Tintent les cordes d'or des lentes mandolines 
Sous les doigts indolents d'un choeur de troubadours.



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