Ma mort
Evariste de PARNY (1753-1814)

De mes pensers confidente chérie, 
Toi, dont les chants faciles et flatteurs 
Viennent parfois suspendre les douleurs 
Dont les Amours ont parsemé ma vie, 
Lyre fidèle, où mes doigts paresseux 
Trouvent sans art des sons mélodieux, 
Prends aujourd'hui ta voix la plus touchante, 
Et parle-moi de ma maîtresse absente.

Objet chéri, pourvu que dans tes bras 
De mes accords j'amuse ton oreille, 
Et qu'animé par le jus de la treille, 
En les chantant, je baise tes appas ; 
Si tes regards, dans un tendre délire, 
Sur ton ami tombent languissamment ; 
À mes accents si tu daignes sourire ; 
Si tu fais plus, et si mon humble lyre 
Sur tes genoux repose mollement ; 
Qu'importe à moi le reste de la terre ? 
Des beaux esprits qu'importe la rumeur, 
Et du public la sentence sévère ? 
Je suis amant, et ne suis point auteur. 
Je ne veux point d'une gloire pénible ; 
Trop de clarté fait peur au doux plaisir. 
Je ne suis rien, et ma muse paisible 
Brave en riant son siècle et l'avenir. 
Je n'irai pas sacrifier ma vie 
Au fol espoir de vivre après ma mort. 
Ô ma maîtresse ! un jour l'arrêt du sort 
Viendra fermer ma paupière affaiblie. 
Lorsque tes bras, entourant ton ami, 
Soulageront sa tête languissante, 
Et que ses yeux soulevés à demi 
Seront remplis d'une flamme mourante ; 
Lorsque mes doigts tâcheront d'essuyer 
Tes yeux fixés sur ma paisible couche, 
Et que mon cœur, s'échappant sur ma bouche 
De tes baisers recevra le dernier ; 
Je ne veux point qu'une pompe indiscrète 
Vienne trahir ma douce obscurité, 
Ni qu'un airain à grand bruit agité 
Annonce à tous le convoi qui s'apprête. 
Dans mon asile, heureux et méconnu, 
Indifférent au reste de la terre, 
De mes plaisirs je lui fais un mystère : 
Je veux mourir comme j'aurai vécu.